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Prise de position : Traiter les procédures en 24 heures, un slogan politique aux conséquences qui inquiètent

Au cours de sa visite à Chiasso le 19 février, puis à nouveau lors de son passage à Boudry la semaine dernière, le nouveau conseiller fédéral Beat Jans annonçait ses premières mesures pour lutter contre la mal-nommée crise de l’asile. La solution ? Traiter en 24 heures les procédures des requérant∙e∙s d’asile originaires du Maghreb. Le but affiché ? Réduire le nombre de demandes d’asile vouées à l’échec et contribuer à désengorger les centres d’asile. S’il ne fait aucun doute que la mesure est extrêmement problématique, son retentissement est tel qu’il vaut la peine de s’y attarder.

Oui, en effet, la voie de l’asile semble être sans issue pour une majorité de personnes originaires du Maghreb. Toutefois, cette réalité ne doit pas en masquer une autre, bien souvent oubliée, à savoir qu’en Suisse ce sont 80% des demandes traitées en procédure nationale en 2023 qui ont abouti à l’octroi d’une protection[1]. En inversant ainsi la perspective, on peut légitimement se demander pourquoi il est si urgent de traiter les demandes supposément vouées à l’échec, tant elles sont minoritaires. Ne serait-il pas temps de veiller à un meilleur traitement des demandes dans leur ensemble, en évitant que certaines personnes attendent plus de 2 ans une décision quant à leur séjour en Suisse ? Ne serait-il pas vital de préserver le droit à tous et toutes d’être écoutées, dans le respect de leur parcours de vie, indépendamment des chances statistiques de voir leur demande acceptée ? Qu’en est-il de la reconnaissance des vulnérabilités particulières de chacun∙e dans une procédure si rapide, alors qu’aujourd’hui déjà une grande partie de ces victimes de violences extrêmes ne trouvent pas l’écoute, la protection et les soins nécessaires auxquelles elles auraient droit. Si la voie de l’asile semble sans issue pour les personnes originaires du Maghreb, nier leur droit à s’exprimer sur leur besoin de protection est une impasse. Car besoin de protection il y a, même s’il ne s’exprime pas dans les termes de la Convention de 1951 sur les réfugiés.

Traiter les procédures des ressortissant∙e∙s du Maghreb en 24 heures, c’est discriminer tout un pan des personnes qui demandent l’asile sur la base de leur origine, et c’est nier à l’ensemble des personnes en quête de protection le droit à une procédure digne et respectueuse de leur intégrité. C’est occulter la réalité d’un système qui peine à mener convenablement ses procédures. En effet, une demande d’asile qui s’enlise, une demande qui met plusieurs années à être traitée, c’est prendre le risque de voir la santé mentale des personnes se détériorer, mais aussi retarder abusivement leur accès à des cours de langue adaptés, à un logement correct, à une formation, à la sacro-sainte intégration.

S’il nous semble essentiel de veiller à ce que la procédure d’asile reste inconditionnelle, penchons-nous tout de même un instant sur le contenu de cette mesure annoncée par Beat Jans. Sert-elle vraiment les buts qu’elle se donne ? Rien n’est moins sûr. Dans la phase test réalisée à Zürich, une majorité des cas traités en 24 heures relevaient de la procédure Dublin. Toutefois, même si un entretien Dublin est mené dans les 24 heures, c’est ensuite souvent plusieurs mois d’attente qui commencent pour les personnes concernées : échanges entre la Suisse et le pays de transit, attente de la confirmation de ce dernier, rédaction d’une décision, autant d’éléments administratifs qui prennent du temps. Ainsi, les personnes se retrouvent à attendre plus de 3 ou 4 mois leur décision, et ce, en étant hébergées dans les mêmes CFA que cette mesure cherche à désengorger. Malgré cela, Beat Jans se félicite de cette annonce et la prolonge en annonçant qu’il sera désormais impossible de déposer une demande d’asile durant le weekend, sauf pour les personnes considérées vulnérables – sans préciser ni ce qu’il entend par là, ni comment cet examen est supposé être mené à la porte des CFA. Une deuxième mesure qui vise, elle aussi, à dissuader le dépôt d’une demande d’asile. Selon les chiffres communiqués quant à la phase test menée à Zürich, on aurait observé une diminution de 40% des demandes d’asile provenant de personnes originaires du Maghreb – sans que l’on sache d’où viennent ces chiffres, ni s’ils ne sont pas simplement dus à la baisse « naturelle » des demandes d’asile durant l’hiver.

Au travers de ses annonces disciplinaires, le nouveau conseiller fédéral prétend regarder les problèmes de l’asile en face, au contraire du reste de la gauche, alors qu’il pourrait se pencher sur d’autres enjeux tels que la taille des centres d’asile, l’augmentation des effectifs dévoués au traitement des demandes d’asile, ou encore la question de la prise en charge médicale dans les CFA. Lors de son déplacement à Chiasso, le nouveau conseiller fédéral a toutefois mentionné vouloir travailler à la scolarisation des requérant∙e∙s mineur∙e∙s non-accompagné∙e∙s et vouloir créer un meilleur lien entre les requérant∙e∙s et la population locale. Bien que ces mesures aient été occultées par la visée sécuritaire et disciplinaire de son discours, et que l’on peut légitimement se demander si elles n’ont pas été énoncées simplement pour mieux faire passer la pilule, on espère qu’elles ne seront pas laissées pour compte dans la pratique et que Beat Jans s’attèlera à mener une véritable politique de gauche. En regardant les véritables problèmes en face comme il prétend le faire, non pas en réchauffant les vieux discours de la droite que l’on entend depuis des années en Suisse.


[1] https://asile.ch/2024/02/27/statistiques-privilegier-le-taux-de-protection-au-taux-doctroi-de-lasile/

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